Montréal 1993 / Carnet de route

Plus d’une heure et demie de retard au départ de Zurich, pour cause de brouillard semble-t-il. Retard rattrapé pour l’essentiel pendant le vol, grâce à des vents favorables et à quelques milliers de litres de kérosène supplémentaire. Avion quasiment plein. Voisin d’au-delà du couloir, un Québecois dans la cinquantaine, portant beau, Jean-Guy C. Il est météorologue et revient d’une mission de formation, pour l’OMM, au Niger. C’est son premier voyage africain mais il n’a pas vu grand-chose. Parle beaucoup. Peu avant l’arrivée, contact avec un autre passager du nom de Mendel, chargé de définir de politique d’un organe international de coopération canadienne.

A l’aéroport de Mirabel, Maxime Poiré. Il a toujours sa petite queue de cheval et un léger embonpoint des joues. Chaleureux, agréable. Il est venu de Québec me quérir avec la voiture de ses parents, partis en vacances au Mexique. Avantage: le téléphone cellulaire. Tentative de contact avec Gérard Crittin, sans réponse. Puis avec Philippe Rochat, en conférence, ne pas déranger. Puis avec André J.-R., dont la tante Renée Burnand (Lausanne) dit qu’il a chassé l’ours, même s’il est aujourd’hui, plus prosaïquement, secrétaire de l’association des hôteliers québécois.

Finalement, Philippe nous dit de venir à l’OACI vers 17h30. Il commence à neiger, nous nous approchons tant bien que mal du centre. Traversons les bureaux déserts, tombons sur sa secrétaire, puis sur lui. Adorable. A blanchi sous le harnais, comme nous tous, mais est vif comme l’éclair. Naguère, nous travaillions ensemble à la rédaction de la Radio Suisse Romande. Manifestement content de me revoir, nous ne nous sommes plus rencontrés depuis plus de vingt ans, me semble-t-il. Après un passage à la direction de l’aéroport de Genève, il a été pendant cinq ans secrétaire général adjoint de l’OACI puis, après une interruption de deux ans, il a été élu, voilà deux ans, comme secrétaire général.

Ses patrons sont en principe quelque 180 pays mais, comme ils sont incapables de se concerter pour lui donner des instructions, c’est plutôt lui qui leur suggère les ordres qu’il souhaite recevoir. Parmi les sujets en question, le renouvellement du matériel des pays de l’Est, qui posent de gros problèmes de sécurité. Le projet, pour le début du millénaire, de surveiller l’ensemble du trafic aérien depuis une batterie de satellites capables de coordonner une densité beaucoup plus grande de communications. Et surtout l’enquête, qui doit être remise en mars, sur l’accident du Boeing coréen abattu par les soviétiques, voilà une dizaine d’années. C’est lui qui a reçu l’année dernière, des mains des autorités soviétiques, les fameuses boîtes noires, et une équipe de six personnes, qui avaient pour la plupart enquêté à l’époque, alors qu’on ne pouvait espérer aucun renseignement soviétique, se sont remis à la tâche. Il faudrait pouvoir filmer leur travail, quitte à promettre un embargo absolu jusqu’au résultat officiel.

Philippe est pressé et nous sommes en retard. Il va chez José Descombes, qui est toujours responsables des facettes techniques du théâtre montréalais. Je lui demande de le saluer affectueusement de ma part et nous voilà repartis, cap chez André J.-R., dont le bureau est également sur Sherbrooke, mais plus à l’est, à un bon kilomètre de là. Le bâtiment « Le Rigaud » est fermé mais, grâce au cellulaire, nous appelons et il répond, il nous a attendus. Quelle tristesse que ce petit personnage. Il ne sait nous parler que de ses rapports, de ses congrès, des impôts qui frappent les hôteliers québécois. Hâte de repartir, nous faisons mine de nous intéresser à sa médiocrité. Allons même jusqu’à lui demander photocopie du programme du cercle romand pour l’année à venir, fondue, méchoui, raclette et choucroute au fil des saisons. Le laissons avec ses petits problèmes.

Contact avec Crittin, enfin. Il dit n’avoir pas entendu mes deux précédents appels et doit aller, à 19h30, écouter le récital du revenant Jean-Pierre Ferland. Me revient en mémoire une brève rencontre, à Genève, à la fin des années 60. Je l’avais amené, Ferland,  de la radio à la gare, il avait oublié sa veste de cuir dans ma voiture, je l’avais rattrapé. J’aimais bien le personnage. A-t-il toujours le même talent? J’envisage de me glisser dans la salle, moi aussi, mais le temps passe, nous retrouverons Crittin tout près du théâtre St-Denis, à 22 heures. En attendant, allons manger dans un petit Deli, crado et plutôt sympa, qui s’est vu retirer la licence d’alcool pour service au-delà des heures légales.

De Montréal je ne reconnais rien et me rends compte que je n’y avais finalement passé que quelques couples d’heures, en 1971 puis en 1981. Me plaît bien le côté faubourien de la partie est de la ville. Crittin arrive au rendez-vous à l’heure, Nous en sommes quant à nous à la deuxième bière « Maudite » dont Charlebois est actionnaire. On appelle Mini-Brasserie ces bières qui sont fabriquées dans des brasseries plus petites que les géantes du type Molson. Crittin plus drôle, plus conséquent que je le craignais, bref, que d’habitude. Mais, dehors, dans la voiture gelée, interview sans grand intérêt. Il avait naguère gagné pour la Suisse la Course autour du Monde, après quoi nous avions proposé à la Radio Suisse Romande une émission matinale quotidienne de quelques minutes, « Quelque part ». Lui et moi étions reoartis courir le monde, séparément, à un rythme déraisonnable. Je ne m’arrêtais pasfois qu’une demi-journée dans un pays, que je racontais cependant avec précision et force détails dans la matinale du lendemain.

Vers 11 heures, départ pour Québec, trois heures de route, je m’endors presque instantanément dans la voiture. Merci Maxime.