Angel

Angel vient de mourir. Comment lui dire, désormais, qu’il était pour moi – et pour tant d’autres – un être fraternel et exemplaire. Exemplaire sans ses combats. Exemplaire dans ses fidélités. Exemplaire dans ses talents. Exemplaire dans ses sensibilités.

En 1971, à Santiago du Chili, j’étais allé l’écouter chanter, avec ses deux soeurs Isabel et Carmen-Luiza, dans la légendaire Pena de los Parra, créée par leur minuscule et immense maman, Violeta Parra, à qui la musique chilienne et latino-américaine doit tout. Une chanson éclaire et résume l’amour et les amours de cette femme entière en tout : « Gracias a la vida », merci à la vie.

Elle l’avait composée pour le grand amour de sa vie, avec qui elle avait partagé toutes les émotions puis tous les désespoirs, le «Gringo» Gilbert Favre, un jeune musicien valaisan d’abord émigré à Genève puis au Chili, sur une équivoque et resté en Amérique latine presque jusqu’à sa mort, par amour de Violeta, d’abord, de la musique et de la fête, à jamais.

Violeta ne ressemblait à aucune autre. Elle faisait pourtant penser à Edith Piaf, pour la force surhumaine de ses amours et de ses chansons. Ses trois enfants et toute une génération de musiciens lui doivent tout. Certains ont trouvé la mort sous la botte de Pinochet. Angel, lui, y a échappé de justesse, relâché du camp de terreur de Chacabuco grâce à l’intervention des artistes et des intellectuels du monde entier. Je me rappelle y avoir modestement participé, par un entrefilet dans Le Monde et plusieurs émissions à la Radio suisse.

Lorsqu’Angel Parra a pu quitter le Chili, il s’est réfugié à Paris, d’où il a rendu visite à ses amis en Allemagne, à Genève… et à Ferney. Un soir, après quelques rasades de ce vin rouge qu’il honorait, il s’est mis à chanter pour nous tous – c’est-à-dire pour sept jeunes amis – sur le talus en contrebas de la maison. Je disposais alors d’un enregistreur Nagra. Je possède donc l’enregistrement de ce moment de grâce et de fraternité. Je l’écoute parfois, lorsque le monde me paraît soudain trop inhumain. 

Salut Angel. Je sais que, dans la mort comme dans la vie, tu seras beau de toute ton âme, de tout ton courage, de toute ta dignité. Merci d’avoir existé et d’exister encore.