Des trains et des chevaux cheminant sur la même voie, en Colombie ? Première nouvelle. Le pays est plutôt connu pour ses FARC, ses narcotrafiquants et son café. Le meilleur du monde, dit-on. Et c’est justement du côté du café qu’il faut aller chercher la rencontre improbable du cheval et du chemin de fer.
Venu d’Ethiopie via l’Europe, le café est arrivé en Colombie au XIXe siècle par l’intermédiaire des missionnaires, qui obligèrent les fidèles à racheter leurs nombreuses fautes en plantant des caféiers plutôt qu’en récitant deux Pater et trois Ave.
Aujourd’hui, c’est par la route que s’effectuent la livraison et l’expédition du café, qui constitue avec le pétrole la principale source de revenus du pays.. Mais au début du XXe siècle, pour se rendre dans les régions de production, on construisit d’abord des voies ferrées au fond des vallées, tout près des rivières tumultueuses de l’arrière-pays.
Long de près de 1000 kilomètres, indomptable sur la majeure partie de son cours, le rio Cauca caracole au sud-ouest du pays, région de production de la coca et du café : Medellin, Cali, Pereira. Pour enjamber les affluents du rio Cauca, il ne reste aujourd’hui que quelques ponts rouillés sur lesquels aucun train ne passe plus, bien sûr, et sur lesquels, même à pied, il faut un peu de courage et un sens certain de l’équilibre pour s’aventurer.
Pourtant, de part et d’autre des ponts éventrés, la voie n’a pas disparu. C’est sur son itinéraire que s’étaient implantés les villages, qui n’étaient et ne sont toujours reliés par aucune route. Le chemin de fer a donc repris du service, et quel service…
Sur plusieurs de dizaines de kilomètres, les villageois se déplacent à bord d’étranges esquifs, faits de simples palettes montées sur roues et tirées par un des petits chevaux sombres que les paysans continuent à élever. Tout le monde ne peut pas s’offrir les services d’un cheval et d’un cavalier, mais chacun ou presque possède sa propre maranga, quitte à se déplacer à la rame sur la voie ferrée.
Dans cette région où, faute de communications avec l’extérieur, le travail est rare, la conduite d’une maranga constitue, dès l’enfance, un appoint financier bien utile à toute la famille. Etre conducteur de maranga, c’est un travail, une fierté et, pourquoi le cacher, un véritable plaisir.
Avec ou sans leur chien préféré, tous les habitants vivant au bord de la voie ont recours, une fois ou l’autre, au service rapide du plus jeune, du plus souriant et du plus heureux des conducteurs de maranga, Victor…
- Tu te prénommes Victor…
- Victor Alfonso.
- Quel âge as-tu ?
- Huit ans.
- Et dans ta famille, combien de frères et sœurs ?
- Nous sommes huit, dont trois mâles.
- Trois garçons et cinq filles… Tous plus âgés que toi ?
- Oui, ils sont plus âgés.
- Et tu aimes ton travail à cheval, ici ?
- Oui, oui.