Les Européens et l’aventure chilienne
Tout comme la tentative de socialisme à visage humain du « Printemps de Prague » avait suscité intérêt et enthousiasme, l’expérience marxiste de Salvador Allende entraîne diverses réactions en Europe occidentale.
Entre la cordillère des Andes et le Pacifique, entre le désert brûlant des confins péruviens et la Terre de Feu, 10 millions de Chiliens vivent depuis l’automne 1970 une expérience unique. Malgré les attaques de la bourgeoisie sur sa droite et le risque de la violence anarchiste sur sa gauche, Salvador Allende tente de suivre cette voie chilienne vers le socialisme, qu’il a tracée lors de son élection.
La révolution dans la liberté
Quelle gageure que de mener à chef une révolution en respectant des lois votées au temps de gouvernements bourgeois ! C’est pourtant, pour l’instant du moins, ce que tente l’Unité populaire. La presse est plus libre que dans aucun pays d’Europe, l’opposition s’exprime sur des radios privées mieux entendues que la chaîne d’Etat et, dans les rues de Santiago, les manifestations des «Momios» (surnom des conservateurs) se heurtent à des réactions fort clémentes des CRS locaux. Et si Monsieur-tout-le-monde ne peut guère quitter le pays, c’est uniquement pour des raisons de devises.
Le cuivre est le salaire du Chili
Au marché noir, le dollar se vend ici pour quatre fois sa valeur et les importations ont dû être largement restreintes. Le cuivre, qui représente 80 % des exportations, se vend mal sur le marché international et les Etats-Unis, peu favorables aux orientations nouvelles du pays, font tout pour que les cours du métal rouge restent à un bas niveau. Dans les magasins, on ne trouve plus de viande de bœuf que le vendredi et le samedi. Nombre de produits de consommation courante font défaut.
Viva la reforma agraria !
Pendant ce temps, le processus de socialisation se poursuit. Des usines sont occupées chaque jour par les ouvriers. Et l’Etat aura, dans un mois, exproprié tous les domaines de plus de 80 hectares — il vient de saisir un territoire grand comme la Suisse ayant appartenu à dix propriétaires ! Mais l’extrême gauche trouve le mouvement trop lent, et on dit que le MIR (Mouvement de la gauche révolutionnaire) reçoit de Cuba les armes nécessaires à un prochain affrontement.
Un hiver chaud
Au Chili, l’hiver débutera mercredi prochain. Si le pays réussit à échapper à la guerre civile, il sera pour la gauche mondiale l’exemple de la révolution dans la liberté ! S’il échoue, la bourgeoisie occidentale expliquera à grand renfort d’arguments que le socialisme ne peut engendrer que la terreur. Il reste à Salvador Allende le choix des armes et du moment.
Alex Décotte