Je m’y suis rendu plusieurs dizaines de fois mais, finalement, je ne connais guère l’Espagne. Ce fut pourtant l’un de mes premiers voyages, en 1956 je crois, avec mon papa. Il venait d’itinérer, seul, dans tout le pays, titulaire de l’indispensable visa délivré par l’administration franquiste. Dès son retour, lui qui ne voyageait guère avait décidé de m’emmener à Barcelone. J’avais douze ans. Je me rappelle la montée en téléférique au Tibidabo, les claquements de mains nocturnes pour que le gardien de notre petit hôtel vienne nous ouvrir la porte, la montée des Ramblas quasi désertes. Voilà, c’est tout ou presque.
J’étais revenu à Barcelone dix ans plus tard, en train, accompagné de mon sulfureux ami Christian de Pons, plus royaliste que le roi, fantasque officier de police, toujours prêt à prendre la route pour peu que la promesse ou l’éventualité d’un jupon l’attende eu détour du chemin. Nous étions pauvres, lui comme moi, et j’avais fait valoir mes vertus de journaliste débutant pour obtenir de l’Office espagnol du Tourisme le transport et le gîte, sinon le couvert. Peu de souvenirs là encore, sinon celui d’une drague mémorable – et finalement infructueuse – dans une église de la ville où une jeune touriste allemande baguenaudait. La drague, c’était la spécialité et l’obsession de Christian. Alors qu’il assumait, comme officier de police français, le contrôle des passeports à la gare de Genève, il lui était arrivé d’abandonner son poste pour embarquer illico à bord du train où venait de monter une des belles passagères tout juste contrôlées ! Mais foin de ces souvenirs-là. Notre séjour à Barcelone avait été très nocturne mais sans succès notoire. Je me rappelle seulement la lumière glauque des ruelles du bario chino et la devanture des pharmacies qui promettaient de soigner la syphilis ou de s’en protéger.
Jusqu’à une expédition franc-maçonne, en 2025, je ne connaissais quasiment pas Madrid, où je fis escale mainte fois, au mitan des années 70, en attente d’un avion en partance pour Buenos Aires. Pour embarquer aux alentours de minuit sur le long courrier transatlantique à destination de l’Argentine, j’effectuais le vol Genève-Madrid assez tôt dans la journée, par sécurité en cas de retard mais aussi pour le simple plaisir de me rendre en ville en quête d’une de ces paellas populaires qu’un ne déniche plus guère.
Espagne encore, brièvement, pour un reportage sur les camps de concentration vacancière. Costa Brava, avec l’adorable cameraman Michel Perrenoud, don je n’ai jamais oublié cette sentence essentielle: « Ce n’est pas la caméra qui bouge, c’est la vie ».
En 1993, j’avais pris le prétexte de l’ouverture de l’ultime tronçon autoroutier entre l’aéroport de Cointrin et la douane de Bardonnex pour organiser, avec l’ami Brnard Migy, une série de reportages pour le Téléjournal, histoire de monter quelques-unes des étapes de ce long ruban autoroutier qui, désormais continu, menait du Danemark venteux aux plages solaires du sud espagnol. Trop rapide, trop superficiel. Peu de souvenirs.
Il y eut aussi, généralement avec Rodica, une série d’escapades journalistiques aux îles Canaries. Le Jardin des Hespérides; le volcan du Teide; l’île de la Gomera où, pour se parler d’une vallée à l’autre, les bergers sifflaient de notes étranges; et le musée en plein air où s’était réfugié, peu avant sa mort, l’aventurier du Kon-Tiki, Thor Heyerdahl.
Un peu plus tard, avec l’ami Jean-Jacques Danalet et notre ânesse Anaïs, j’ai traversé le nord de l’Espagne sur le chemin de Compostelle, du col de Roncevaux (Roncesvalles) jusqu’à Saint-Jacques de Compostelle. Et même un peu au-delà, à l’endroit où les pèlerins venaient vois le soleil disparaître dans l’océan. Une des très belles aventures de ma vie, qui a fait l’objet d’une série de reportages pour la Télévision suisse.
Et finalement, à Madrid, une improbable incursion dans l’univers des francs-maçons, dont je ne suis pas. La loge Voltaire, ses rituels, ses secrets, que j’ai racontés dans un texte séparé.