Sous un immense tableau polychrome figurant Mao accueillant un illustre inconnu, une famille américaine se fait photographier en polaroïd, tout sourire dehors.
Les formalités ont été simples, la plupart des participants à ce voyage organisé, se sont inscrits voilà moins d’une semaine, à l’Agence China Travel Service, qui occupe un immeuble entier, sur Queens Road, au centre de la colonie britannique.
Ce vendredi matin, nous étions une trentaine sur le bac rapide de Hong-Kong à Macao, avec en tête cette idée: aujourd’hui, pour la première fois de ma vie, je vais poser le pied sur le sol chinois.
A Macao, enclave portugaise, le rendez-vous était fixé sur l’esplanade, en face du casino qui, la nuit, flamboie de mille feux mais qui, le jour, montre à qui le veut bien ses contreplaqués défraîchis, ses perspectives de pacotille et sa lugubre richesse.
Un autobus vieillot. Plaques d’immatriculation: Macao. Et, juste au-dessous, Chine. Traversée de Macao. Barbelés. Serait-ce le rideau de fer chinois ? Non, simplement la protection des ultimes riches de Macao contre la montée du péril jaune.
Longue route le long de la mer, un arc de triomphe décrépit, passage de la douane portugaise. Un kilomètre encore, puis une bâtiment de moellons crème. Tous les passagers descendent, excepté un vieil américain invalide, ancien de la guerre de Corée, à qui les douaniers chinois viendront rendre visite à l’intérieur même du véhicule, pour les formalités.
Les autres se font photographier au pied d’un Mao rubicond avant de remplir quelques formulaires et de changer quelques dollars contre de la monnaie chinoise.
Atmosphère bon enfant. Les douaniers portent la vareuse sobre mais sourient à qui mieux mieux. Et les douanières, jeunes et pimpantes, agitent leurs tresses à chaque éclat de rire, dans une sonorité de sonnailles estivales.
Ensuite, en route. Un jeune homme est monté à bord. Il parle l’anglais avec peine et prie les voyageurs de l’en excuser Les rizières défilent, puis les fermettes et leur piaillement d’oies grises et de canards rigolards. Rares sont, sur la route de terre battue, les véhicules à moteur. Les vélos, en revanche, sont nombreux. Les tenues chinoises sont moins uniformes qu’on pourrait s’y attendre. Tea-shirts publicitaires, tuniques de couleurs, sacs venus de l’autre côté du rideau de riz.
Les Américains, qui composent l’essentiel de la clientèle, jubilent. Voilà un mois seulement que cette visite est ouverte aux étrangers. Ils se prennent pour des aventuriers, et surtout, à leur retour aux States, ils vont pouvoir se vanter, photos a l’appui, d’être allés en Chine. Autant dire que, passée la frontière, ils n’ont plus guère de curiosité, et que leur seul but est désormais le retour en terre civilisée.
Pourtant, un premier arrêt leur dévoile une école, toutes portes et fenêtres ouvertes, gymnastes au cheval d’arçon, potaches en cours d’anglais. Rires de connivence du maître et des élèves. Ah, si seulement je pouvais bredouiller quelques mots de chinois.
Ensuite, ce seront les rues de Shiqui, ville moyenne proche de Canton. A nouveau, flashes et polaroïd, pour immortaliser les serveuses de l’unique restaurant au pied d’un clinquant polychrome représentant la Grande Muraille de Chime. Nous sommes à quelques encablures de Canton, les gens d’ici n’ont pas vu d’étrangers depuis près une génération et pourtant ils s’approchent sans gène, terrassiers, cyclistes, petits marchands.
Ce soir, après avoir fait un détour par la ferme modèle et la commune populaire, tous ces bons Yankees, à qui n’aura pas même manqué le Coca-Cola, franchiront la frontière dans l’autre sens, sans plus d’encombres qu’à l’aller. Ils auront vu la Chine. Bien sûr, leur visite n’aura duré que quelques heures, mais ils auront l’impression d’avoir goûté à la saveur insolite de l’éternité. Eux pour qui le communisme signifiait pays froid, rideau de fer, méfiance et antipathie, sont encore sous le charme. Ils n’étaient venus que pour pouvoir exhiber un visa chinois dans leur passeport mais, surprise, il leur restera peut-être quelques souvenirs.