Où étiez-vous lorsque nous avions besoin de vous ?
Où étiez-vous lorsque nous vous voulions frères ?
Maintenant vous vous dites Sioux ou Cherokee
Mais où étiez-vous aux instants les plus durs ?
Notre terre a été volée, vous n’avez pas bougé.
Nous avons été massacrés, vous n’avez pas crié.
On nous a mis dans des réserves, vous dormiez.
Nous étions moribonds, vous mangiez.
La parole nous était interdite, vous vous taisiez.
Nous vous appelions, vous n’entendiez pas.
Notre liberté est morte, vous n’en aviez cure
Et toujours quand nous avions besoin d’aide, le puits était sec.
Floyd Westerman
Aujourd’hui, avec la musique des Blancs, les disques des Blancs, les mots des Blancs, l’Indien chante à la radio des Blancs sa chanson amère et désillusionnée, grinçante et agressive. Mais cela suffira-t-il ?
Aujourd’hui, l’Indien investit Alcatraz, occupe le Bureau des Affaires Indiennes s’empare de Wounded Knee, mais cela suffira-t-il ?
Aujourd’hui, l’homme blanc écoute la chanson indienne, assiste aux pow-wow rituels, cherche la nature pour fuir la mort, redécouvre la sagesse des anciens. Il applaudit même, parfois, à la révolte de l’homme rouge. Mais cela suffira-t-il ?
Pouvoir rouge et réalité
A ma gauche, 850.000 Indiens issus d’une centaine de tribus aux coutumes et aux langues différentes. A ma droite, 200 millions de Blancs – anglo-saxons-protestants – et leurs anciens esclaves noirs. Début du premier round et que le meilleur gagne.
Cette démesure de leur combat, les Indiens la connaissent bien mais ils se battent pourtant. Aux Etats-Unis, ils ont enfin réussi à mettre sur pied une organisation efficace regroupant chefs de réserves et leaders de ghettos urbains. L’A.I.M (American lndian Movement), né en 1968 dans les bidonvilles de Minneapolis, est aujoud’hui le creuset des revendications et des révoltes, une minorité rouge agissante au sein de la majorité blanche repue.
Mais, si AIM organise des occupations de terres, des manifestations, des meetings, il ne
déterre plus pour autant le tomahawk. L’issue de la lutte ne ferait aucun doute. Non. Ce que veut AIM, c’est rallier à la libération indienne un certain nombre de jeunes Blancs et aussi l’opinion internationale.
Waubum New-Wi Nini
Il s’appelle Waubum New-Wi Nini mais son passeport américain porte le nom de Vernon Bellecourt. Leader de AIM. La quarantaine, domicilié à Denver, Colorado. Sioux. Ses tresses ne font plus rire. Le Blanc commence à en avoir peur et il réagit. L’autre jour, alors que Waubum tenait meeting dans une petite ville proche, sa voiture a été piégée. Elle a explosé quelques instants avant que le chef indien remonte à bord. Qui est donc cet homme qui oblige les Blancs à remplacer le mépris par la violence ?
Bellecourt-Waubum propose l’utopie. Et si c’était là l’unique alternative à la mort ? « L’homme blanc est venu en 1492 avec des prières. « Tu ne tueras point », disait-il. Et il nous a tués. Il a banni nos coutumes, nos langues, nos religions, mais ce crime aujourd’hui se retourne contre lui : avec la langue du Blanc, nous pouvons communiquer entre tribus et crier la vérité au monde. Ce que nous voulons, c’est la liberté, toute la liberté. Bien sûr, on ne nous rendra pas l’Amérique. Mais nous voulons créer un état indien souverain, parcellisé, comme les raisins sur un gâteau, à l’intérieur même des Etats-Unis. Formé des centaines d’enclaves que sont actuellement nos réserves, Avec, en prime, quelques terres rétrocédées par les Blancs. Nous prévoyons dès maintenant notre représentation aux Nations-Unies. »
Desperados de la Culture
En 1952 était créé le Bureau des Affaires Indiennes (BIA). Officiellement pour étudier les 371 traités « conclus » entre colons et colonisés. Mais la première constatation du BIA fut pour le moins bizarre : « la pauvreté des Indiens, c’est la faute des réserves. Qu’ils aillent donc vivre à la ville ».
Aujourd’hui, 50 % des Indiens vivent dans les ghettos urbains. Niveau de vie, un cinquième de la moyenne blanche. Alcoolisme. Criminalité (10 à 30% des effectifs des prisons). Suicide infantile (10 fois plus que les Blancs).
La culture indienne ne prépare guère aux métiers de la technocratie. Dans sa tribu ou sa famille, l’enfant apprend la nature, le cours des saisons, la communication avec les animaux, le culte des ancêtres. Aussi, ses seuls emplois en ville se limitent-ils à l’humilité du sous-prolétariat : nettoyage, entretien, manutention. Chômage. Le Noir se révolte mais l’Indien, de philosophie non-violente, se réfugie souvent dans le désespoir et la résignation. Pourtant, AIM modifie rapidement l’état d’esprit de l’homme rouge. Il lui apprend à reconquérir sa dignité, à regarder l’homme blanc sans crainte. « Un jour, dit Waubum New-Wi Nini, lorsqu’il aura tout détruit sur la planète, le civilisé se tournera vers nous, qu’il appelle sauvages, et comprendra pourquoi, depuis toujours, nous vivons en harmonie avec la nature. Ce jour-là, nous lui ouvrirons les bras. »
Le Canada de l’injustice
Lettre du Canada, reçue à la fin de l’année dernière. Origine : bande du chef Small Boy, tribu des Cris. « Cette nuit, il y eut tout à côté d’Edmonton le plus grand rassemblement indien de l’été. Il y avait aussi un bon nombre de métis, tellement contents de se balancer au rythme des tambours, tellement heureux de faire un tour de piste, tellement heureux d’oublier, de s’oublier. Des gueules tordues, mal foutues, des gueules de chez nous, taillées à coups de serpe indienne, et un relent de pinard dégueulasse. Mais des gueules si émouvantes au rythme du tambour de leurs cousins de la réserve.
Quitte à te décevoir, l’affaire de Wounded Knee n’a plus la cote ici. L’Indien du Canada., qui connaît huit mois d’hiver, et quel hiver, a trop le sens du rapport de forces pour ne pas savoir qu’un petit feu de camp indienne suffira pas à faire fondre l’immense calotte de glace blanche qui l’étreint si cruellement. Il ne se fait pas d’illusion. Sur place, il voit les prospecteurs de pétrole s’affairer follement, avec leurs engins chenillés. Le gibier est terrorisé. Les Indiens ne s’étonnent de rien. C’est cela, l’homme blanc. Il détruit peu à peu tout ce qui lui tombe sous la main. L’homme blanc est fou !«
Combien y a-t-il d’indiens au Canada ? L’estimation est difficile. 300.000 à peu près. Le gouvernement a établi une distinction entre ceux des réserves, reconnus comme tels, exempts d’impôts mais privés de droits civiques, et les Indiens venus en ville, qui perdent du coup le droit de retourner dans une réserve, le droit à leur identité. Ces derniers, comme les métis, sont considérés comme canadiens. Le décompte est malaisé.
Pourtant, depuis quelques années, la Fraternité des Indiens du Canada a mis les différents groupes en contact. Le combat est certes en retard sur celui des Etats-Unis, et les conflits localisés. A la baie de James, au nord du Québec, des industriels veulent construire un barrage hydro-électrique. Les forêts seront inondées, les rivières détournées. Les Cris de la région ne parlent ni anglais ni français. Ils ne savent que pêcher, trapper et chasser. On imagine leur sort si le projet se réalise.
Sur la côte ouest, des pêcheurs indiens se voient interdire leur métier : Le gouvernement en a vendu le monopole à une société des Etats-Unis. Au village Huron de Loretteville, près de Québec, le chef Max Gros-Louis a organisé la vie des 1200 Indiens. Fabrique de canots. Artisanat local. En quelques années, le chômage a disparu. Des Blancs viennent même travailler dans les entreprises indiennes. Mais le cas est isolé et les Indiens du Canada sont finalement plus déshérités, plus méprisés, plus méconnus, que leurs frères des States. Et leur qualité de « sujets de Sa Majesté la Reine d’Angleterre » ne suffira pas à les consoler.
L’injustice créé la violence mais nul ne peut dire aujourd’hui si cette violence sera révolte ou suicide.
Alex Décotte, 1972