En Arménie, les menaces, la guerre et les invasions ne sont jamais loin. Voilà des siècles que ça dure. Et que ça continue ! Que l’Arménie – ou ce qu’il en reste – ait survécu aux brutalités de l’Histoire est pur miracle. Les dieux ont sans doute protégé le pays mais les hommes ont, eux aussi, fait ce qu’il fallait pour ne pas succomber aux griffes ennemies. Ou en tout cas pour en renaître toujours.
Nous sommes ici à 2300m d’altitude, ce qui n’est pas vraiment exceptionnel si l’on songe que l’ensemble du plateau arménien se situe au-dessus de 1000m et que le mont Aragats voisin, volcan éteint et enneigé, culmine à plus de 4000m. Sans compter le mont Ararat, inaccessible mais vaguement visible au loin, qui domine la plaine de ses 5137m de glace et de lave.
Sur son éperon rocheux dominant les deux rivières Amberd et Arkhash, la forteresse existait sans doute dès le VIIe siècle mais c’est seulement trois siècles plus tard que les princes Pahlavouni en firent une résidence fortifiée. Difficile d’imaginer, dans cette région inhospitalière, que la vie fourmillait alors dans le château et au-dehors. L’eau, nerf de la guerre comme de la paix, y était acheminée par des canalisations d’argile provenant des montagnes voisines, vulnérable en cas d’assaut au point que la neige fondue constitua parfois la seule boisson.
Amberd fut d’abord simple résidence d’été pour la puissante famille Pahlavouni. C’était compter sans les envahisseurs de tous bords et de toutes extraces. Et d’abord les Séldjoukides, tribu venue du Turkestan et installée à la force des armes dans tout le Proche-Orient. Puis les redoutables hordes mongoles et les armées de Tamerlan, qui détruisirent tout sur leur passage. Rien, décidément, n’aura jamais été épargné à l’Arménie. Abandonnées pendant six siècles, la forteresse et l’église sont progressivement revenues à la vie depuis un peu moins de cent ans.
Aujourd’hui, de l’esplanade installée pour les visiteurs, on surplombe la forteresse, l’église, la vallée et l’horizon. Il n’y a plus guère d’animation à Amberd, hormis les vagues de touristes dont certains gravissent les remparts pour faire mine de planter le drapeau arménien sur les ruines du royaume décati mais toujours renaissant.
Un peu en contrebas, la jolie petite église de Vahramashen déploie à nouveau son guilleret clocher en ombrelle aux premiers rayons du soleil. Quelques oiseaux de proie, inoffensifs ceux-là, survolent le site. Un vieil homme joue – mal – de l’accordéon contre quelques pièces, à proximité d’un autobus flambant neuf arborant la silhouette inattendue des Pyramides, du Parthénon, de la statue de la Liberté, du Colisée, de la tour Eiffel et même du Cervin !
Bastion insolite de l’histoire de l’Arménie, Amberd constitue désormais une brève étape du grand tour du monde touristique. Pourquoi pas, après tout ? Ici au moins, les vagues de voyageurs en bermudas ne risquent pas de déranger les populations locales : il n’y en a pas.
Alex Décotte, juin 2019