Avion

L’avion, pour voyager vite et en sécurité.  Tu parles, Charles! C’est vrai qu’on dort mieux dans un 747 que dans un bouge parisien, que le bruit y est moins intolé­rable et les couvertures moins mitées. Vrai aussi que le risque d’accident en fait le moyen de transport le plus sûr au monde, avant le patin à roulettes ou la marche à pied. Mais il y a avion et avion, et un certain nombre de coucous encore en service mériteraient une place de choix dans un catalogue de far­ces et attrapes…

Les sapins filent sous la car­lingue, le vent s’engouffre entre les sièges dépareillés. Impossible de prendre de l’al­titude, impossible de fermer la porte, il n’y en a pas. N’était le sifflement du vent, on entendrait sans doute le chant des oiseaux de la forêt, tant nous passons près. Par le trou béant entrent parfois des reliefs de nuages et des hoquets de mo­teur. Attachez vos ceintures. Les ceintures ? Quelles ceintu­res? Dans quelques instants, atterrissage à Karlovy-Vary, l’ancienne Karlsbad. Aujourd’hui, la cure d’eau minérale a cédé le pas à la cure d’air sidéral.

Malte. La piste est éclairée par un grand feu. L’avion s’ap­prête à toucher le sol, mais le vent de travers est tel que l’ap­pareil se présente de guingois. La gomme touche le béton, les pneus rappellent l’avion dans le sens de la piste, d’un seul coup. A l’arrière, les passagers ont senti leur siège partir de côté, plusieurs mètres au moins par rapport à la trajec­toire initiale. Les rafales de pluie lessivent les hublots mais, sur le bas-côté, le brasier est toujours aussi vif: un Cessna a eu moins de chance que nous et s’est embrasé après avoir capoté. Le pilote est sorti in­demne avant l’explosion; il est là, devant son bijou qui part en fumée. Sa veste dégouline de toutes parts, mais il n’a pas encore remarqué qu’il pleuvait.

Dans moins de huit heures, la Louisiane. Juste l’Atlantique à traverser. Le DC-8 devrait par­tir dans trois quarts d’heure. Il est grand temps de se présen­ter à l’embarquement.

  • Le vol pour La Nouvelle-Or­léans? Vous n’avez pas été prévenu? Il est parti avec deux heures d’avance. Fichtre. Que faire?
  • Nous avons un vol pour Saint-Domingue, demain matin. De là, vous trouverez sans pro­blème un passage pour New Orleans, via Miami.
  • Okay.

Bondé jusqu’à la gueule, le DC-8 s’élance. Dans une quin­zaine d’heures, sept de plus que prévu, nous atterrirons peut-être en Louisiane.

200, 250, 300 à l’heure. Vrombissement des réacteurs, Petit claquement sec sous la carlingue. Décollage tant bien que mal, montée au-dessus du Mont-Blanc, «No smoking» et «Fasten seat belts» restent allu­més. L’avion décrit des cercles au-dessus des cimes ennei­gées; il ne pleut pas, mais des traînées de liquide se faufilent le long des hublots. Kérosène. Deux heures pour vider les 87000 litres dans l’atmo­sphère, puis atterrissage brin­quebalant, sur la piste que nous venions de quitter, entre deux rangées de voitures de pompiers. Éclatés au décollage, deux des pneus finissent en charpie mais nous sommes tous sains et saufs.

  • Nous avons un autre vol, de­main, pour Bangor (Maine). De là, vous trouverez bien une correspondance pour La Nou­velle-Orléans. Okay.

Sept heures de traversée, arrivée à Bangor (extrême nord-est des Etats-Unis) vers minuit. Pas de correspondance. Autant rester à bord, l’avion continue vers Los Angeles, et nous touchons la terre californienne au petit jour. Juste le temps de réserver une place pour La Nouvelle-Orléans. Trois jours et demi, quatre avions, vingt-cinq pompiers, quatre-vingt-sept mille li­tres de kérosène et, enfin, la Louisiane.

Un hélicoptère bougon. J’en ai rencontré un, le seul rescapé, au sud du Soudan. Des vingt sièges, huit seulement subsis­taient. L’emplacement des au­tres était occupé par une im­mense baignoire pleine… de kérosène. On dit que la ciga­rette tue lentement, ici le pre­mier fumeur n’aurait pas eu le temps d’aspirer une seule bouffée…

Bougon et capricieux, notre hélicoptère. Il n’accepte de décoller qu’à condition de rou­ler sur une pente, dans le sens contraire du vent. Mazette. Quand on sait que la pente mène droit au Nil, que les cro­codiles bâillent entre les jacin­thes d’eau et qu’ils n’ont rien mangé depuis une semaine, on se souhaite bon vent.

Le vent fut suffisant, merci. D’ailleurs, rien ne nous éton­nait plus, au Soudan. Deux jours plus tôt, à Khartoum, le DC-6 qui devait nous emporter vers Malakal faisait huile de toutes parts, il avait fallu attendre l’arrivée d’un DC-4 presque neuf (moins d’un quart de siècle), s’installer à plat ventre sur des sacs de sorgho retenus à la carlingue par des filets de chanvre, et se cram­ponner aux mailles lorsque les deux moteurs s’étaient mis à vi­brer.

Nous roulions sur la piste, de plus en plus vite, lorsqu’une sonnerie a retenti. L’appareil a freiné à tout rompre, je me suis retrouvé entre les sacs de sorgho, le pilote a passé la tête par la porte de la cabine.

  • Sautez, vite!

Nous n’étions plus qu’à quinze mètres du mur séparant la piste des premières maisons. Il s’en était fallu de peu. Der­rière nous, le moteur gauche brûlait.

Une semaine plus tard, avec un autre avion, soviétique celui-là, nous tombions en panne près de la frontière tcha­dienne. Il fallut un jour pour avertir Khartoum et un autre pour que le président Nimeyri nous envoie son avion person­nel.

A mobylette, nous aurions perdu moins de temps. Mais nous n’aurions connu ni le Haut-Nil, ni les jacinthes, ni les crocodiles.

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