Guimbardes 1980

Journal El Tiempo, page 5 C, petites annonces

A vendre

  • Chevrolet, 1950, bon état Ford 54, parfaite
  • Mercury 1952, tel 2784389
  • Dodge 1948, d’origine Porsche 1953, neuve.
  • De Soto 1955, moteur en ligne
  • Ford 1954 toute neuve
  • Jolie Ford 1936, convertible, comme neuve

Journal El Vespertino, page 18

  • De Soto 1954, bon marché
  • Taxi Studebaker, 1948, comme neuf
  • Taxi Dodge 1953, en état de travailler

Journal El Espectador, page 23

  • Automobile Ford 1957
  • Chevrolet 51 et 53, coupé
  • Buick 1965, impeccable
  • De Soto 48, parfait état
  • Chevrolet 54, coupé
  • Ford 1949, en état de marche
  • Forcito 1936, coupé
  • Plymouth 1941, bon état
  • Taxi Ford 49, en état de travailler. Facilités de paiement.

A Bogota, chaque jour et à longueur de page, fleurissent les propositions pour des tacots vieux de trente ans et plus. Et attention, de telles annonces ne sont pas destinées aux collectionneurs.

Si vous cherchez un taxi, plantez-vous au bord du trottoir et attendez que passe la chance. Après une bonne demi-heure à contempler les embouteillages, moyenne d’âge des tas de ferraille, vingt ans au moins, vous verrez peut-être s’arrêter une voiture ancêtre, cabossée, rafistolée, repeinte de couleurs vives et multiples.

Dans ce pays où le salaire moyen, quand il existe, avoisine les cent ou 200 francs suisses, une De Soto 1948, dans l’état que vous imaginez, vaut encore 100.000 pesos, pas loin de 4.000 francs suisses.

Le chauffeur avec lequel je travaillais, lorsque je suivais le déroulement de l’affaire des otages de Bogota  possédait une Checker , grosse américaine de huit places, qui totalisait 15 ans d’âge et 850.000 kilomètres au compteur. Eh bien, il était en train de l’échanger contre une petite Renault d’occasion, plus récente et moins gourmande, sur la base de 15.000 francs suisses.

Tout ça parce que la douane colombienne est un état dans l’état, que les droits d’importation sont effrayants. Du coup, on retape, on ressoude, on restaure. Sur cent voitures circulant à Bogota, deux ou trois, tout au plus, passeraient avec quelque chance de succès la visite technique d’un des bureaux des autos en Suisse romande. Les autres…

Oh, un exemple : Une nuit, entre une et deux heures du matin, j’ai eu besoin de retourner, de mon hôtel, jusqu’à proximité de l’ambassade, assiégée par l’armée en alerte, et où patientaient depuis des semaines, les diplomates retenus en otage. Le seul taxi qui se soit proposé était une Buick 1951, aile avant droite en moins, pas de freins, pas de lumière. De tout le véhicule, la seule ampoule qui fonctionnait était celle du poste de radio,

Nous nous sommes approchés, dans l’obscurité totale, j’imaginais les soldats, le doigt sur la détente. La veille, trois jeunes gens ivres avaient été mitraillés dans leur voiture parce qu’ils ne s’étaient pas arrêtés au coin de la rue. Et nous avancions, le chauffeur et moi, à deux heures du matin, sans freins, sans feux. J’ai du m’agripper au volant, faire obliquer notre tas de ferraille sur un talus, où nous nous sommes arrêtés, tant bien que mal. Cinquante mètres plus loin, nous aurions sans doute été transformés en passoire. La voiture aussi, cela va de soi. Mais elle, rapetassée à coups de mastic et de soudure, aurait malgré tout pu espérer un quart de siècle de vie supplémentaire.