Gyumri ressuscitée

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Le souvenir et la hantise des grands séismes rôdent dans nos têtes comme autant de tremblements irrépressibles. Agadir 1960. Skopje 1963. Roumanie 1977. Arménie 1988. C’est très mal, certes, mais avant de penser aux milliers de victimes, on pense à soi. On s’imagine sous les décombres. Mort, qu’importe après tout ? Mais emmuré vivant jusqu’à son dernier souffle ! Terrible ! Passé ce premier effroi, on revient à soi, on revient sur terre, on revient aux autres et on fait ce qu’on doit faire, le peu qu’on puisse faire : adresser son obole à la Croix-Rouge.

Pour chacun de ces grands séismes plus ou moins récents, je me souviens du nom des lieux qu’ils ont dévastés. Agadir. Skopje. Bucarest plutôt que Vrancea, l’épicentre, parce que ma belle habitait alors la capitale roumaine et que j’étais très inquiet de son sort. Mais Gyumri, non. Et pourtant je me rappelle comme si c’était hier l’illustre Arménien de France, Charles Aznavour, appelant le monde au soutien de son peuple et chantant avec les vedettes de l’époque son « Toi Arménie » dont les recettes allaient permettre l’envoi d’aides très substantielles, qui soutinrent largement les premiers secours et permirent ensuite de nombreuses reconstructions. Mais Gyumri ? Ce nom ne me disait toujours rien. Pourquoi ?

La réponse est simple. L’Arménie faisait alors partie de l’Union soviétique et les quelque 150.000 habitants de Gyumri vivaient dans une ville alors nommée Leninakan, en référence à Lénine. Un nom qui, lui, me revient vaguement en mémoire, comme me reviennent en mémoire les presque 30.000 victimes que firent, dans la ville beaucoup, ailleurs dans le pays beaucoup aussi, ces huit secondes d’épouvante, le 7 décembre 1988 à 11h41. 

De la même manière que l’Arménie ne se résume pas au génocide, Gyumri ne saurait se résumer au tremblement de terre de 1988 ni à la majestueuse statue de leur Grand Charles. Aznavour, bien sûr. Même largement reconstruite, la cité a conservé en son centre un petit air d’antan, rues pavées, maisons basses et jardinets. C’est d’ailleurs dans une de ces demeures que les visiteurs, à condition de n’être pas trop nombreux, trouveront le gîte et le couvert. Villa Kars, c’est son nom. Désuet et charmant.

Malgré le soutien de nombreux mécènes de la diaspora, la reconstruction des églises et des immeubles a pris un temps infini. Les faibles richesses du pays et les bouleversements entraînés par la chute de l’URSS y sont pour beaucoup mais il faut se rappeler que la guerre du Haut-Karabagh (1988-1994) a mobilisé en priorité les maigres ressources du pays face à l’Azerbaïdjan, voisin musulman et irréconciliable ennemi. Au point qu’à Gyumri, il restait au début du présent siècle des milliers de sans-abri et autant d’immeubles en gravats. On en découvre encore quelques-uns aujourd’hui.

L’histoire de Gyumri n’a jamais été de tout repos. Passée sous contrôle russe en 1804 et bientôt rebaptisée Alexandropol par le tsar Nicolas 1er, elle accueille des milliers de familles fuyant leurs villes et villages d’Arménie occidentale. Prélude à ce qui sera, moins d’un siècle plus tard, le génocide perpétré par les « Jeunes Turcs » et fera une nouvelle fois de Gyumri un havre de relative sécurité pour les Arméniens occidentaux rescapés des massacres.

Un mot à propos de la statue équestre de St Vartan alias Vardan II Mamikonyan, monté sur son cheval cabré, épée en dextre, croix en sénestre, dominant et protégeant à la fois la large esplanade dont le nom porte en lui seul l’aspiration : Place de la Liberté. Au Ve siècle, Vardan fut un des plus grands chefs militaires de l’Arménie devenue chrétienne. D’abord obligé par les Perses à se convertir à la religion de Zoroatre (Also sprach Zatathustra…), il reprit à son retour la foi chrétienne, organisa la révolte arménienne contre les suzerains sassanides du Grand Iran et fut tué à la bataille d’Avarayr. Ironie et revanche de l’Histoire, les Sassanides allaient être, deux siècles plus tard, en 651, écrasés à leur tour par l’invasion musulmane. Hélas, à en juger par la suite des événements, ce ne fut par vraiment, pour les Arméniens, un bien pour un mal…

Post scriptum

PS 1 : Et pourquoi n’iriez-vous pas d’Erevan à Gyumri en train? Une liaison par jour, un peu moins de trois heures de voyage.

PS 2: On me signale, à Gyumri, une miellerie artisanale et bio, Herbs and Honey, créée par un Arménien genevois revenu au pays, ainsi qu’une petite ONG, Building an Alternative Future, basée à la même adresse. Vous pourrez ainsi parrainer une ruche ! Ou simplement, si vous habitez Genève, acheter du miel de Gyumri à l’une de ces deux adresses :  Sputnik, rue de la Servette 71 à Genève et Envie d’en face, rue du Pont-neuf 6 bis à Carouge.

Alex Décotte, juillet 2019

  • Sauf mention contraire, les photos sont de l’auteur.

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