Rio 1993

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Au Brésil, deux choses seulement sont organisées: le Carnaval et le désordre.

Raymond Asséo

   L’avion avait de l’avance. Le taxi me dépose devant chez Raymond Asséo presque une heure avant le rendez-vous prévu. Sur le trottoir, ll me semble reconnaître l’homme qui s’apprête à traverser la rue. Je l’appelle par son prénom. Il se retourne. C’est bien lui. Je ne me souvenais qu’à peine de son visage et sans doute ne l’avais-je rencontré à Genève qu’une ou deux fois. Il se différenciait de la masse des photographes de presse, toujours présents sur les « coups » (tout relatifs), de la vie genevoise. Il me semblait me souvenir de ses clichés en noir et blanc, plutôt sombres, un rien intellectuelles .Je n’avais jamais travaillé avec lui, écrit de textes pour lui ni sollicité de lui des illustrations. Mais son nom et son personnage étaient encore présents dans ma mémoire, vingt ans après.

Raymond Asséo

   L’homme est plutôt petit et frêle. Il porte cheveux et barbe plus sel que poivre, le tout en assez grand désordre. Son splendide nez de vieux sage juif (d’origine séfarade, il est né à Nice et a passé plus de 30 ans en Suisse avant de choisir le Brésil, en 1974) sert de support à des lunettes dont le reflet ajoute au brillant du regard. Raymond est un tendre discret et, sans doute, assez renfermé.

Raymond Asséo

Manifestement, ma visite lui fait plaisir. Nous passons d’ailleurs illico au tutoiement. L’immeuble où il vit à Rio a conservé des années 30 ou 40, période vraisemblable de sa construction, le faste froid, post-colonial, de cette époque entichée d’Allemagne hitlérienne. La rue est peu passante, largement arborisée. Un endroit privilégié, même si Raymond affirme n’avoir pas payé très cher son appartement, après en avoir habité quelques autres dans le quartier. La porte métallique ajourée de verre est gardée par un vigile, comme c’est l’habitude ici. Le hall est grand, l’ascenseur plus petit. Au 5ème, plusieurs portes de bois, avec une ouverture de conversation à hauteur de visage. Ici, on se méfie de tout et la femme de Raymond a vu surgir un jour chez elle un groupe armé qui, en quelques minutes, s’est emparé de bijoux, montres, valeurs.
A cette heure, Malba n’est pas encore levée. Raymond me confectionne de l’excellent café, du jus d’orange, et coupe le pain qu’il vient d’aller chercher. Nous prenons le petit déjeuner dans un coin du salon, vaste et bien éclairé. Au mur, des peintures et des photos sous cadre. Sur une table, des sculptures de bois et de bronze. La plupart des oeuvres sont de lui.
Chaleur extrême, il faisait 36 ou 37 degrés au lever du jour. J’arrive de l’hiver et le choc est sévère.

Raymond Asséo

  Raymond me parle de son travail. Il a développé une forme originale de photographie. Partant de tirages noir blanc, il se sert d’agrandissements effectués sur un papier assez poreux pour restituer artificiellement aux lieux et personnages, à la main, les couleurs de son choix. Ce n’est rien d’autre que la chromographie de l’entre deux guerres mais l’effet est surprenant. Raymond se sert de pigments qu’il prélève sur la pointe des mines de crayons que lui offre Caran d’Ache, la répartit du bout du doigt sur les surfaces voulues, la laisse imprégner pendant quatre heures dans les sels d’argent du tirage photo, puis fixe le tout grâce aux mélanges chimiques habituels. Le résultat est une vision un rien surannée, qui donne aux images d’aujourd’hui le climat des années trente. Une manière de dire que ce que nous voyons aujourd’hui sera bientôt du passé pourrait même ne plus être, à l’heure où l’homme s’apprête à une vie extra-terrestre.

    Le soir, invitation chez Eunice Khoury et son compagnon italien. Eunice nous raconte les derniers potins de Rio….

   TV Globo diffuse depuis de longs mois un feuilleton dans le style des feuilletons américains, plus violent et retors à la fois. Or, depuis quelques semaines, fiction et réalité se mêlent dans une histoire de crime, de sexe, d’argent et de célébrité…

   Daniela, fille de la femme du scénariste Gloria Perez, était aussi le rôle féminin principal du feuilleton. Vie multiple et dissolue à l’écran, à la vie peut-être aussi. Son partenaire homme, Guilherme, l’embrassait à l’écran. L’embrassait-il à la ville? Dans le scénario, leur histoire d’amour se terminait, Guilherme quittait la vie de Daniela et aussi, du coup, perdait son emploi. Guilherme vient d’assassiner (à la ville) Daniela avec la complicité de sa femme Paula. Tout un symbole et, qui sait, le sujet d’un prochain feuilleton…

   28 décembre: découverte du corps de Daniella Perez dans un terrain vague de Barra de Tijuca, près de Rio. Jeans, basket, chemisette noire. Elle semble avoir été étranglée mais porte aussi 15 blessures à vif sur le thorax. On pense à une agression mais, rapidement, Guilherme de Padua, qui joue avec elle dans le feuilleto « De Corpo e Alma », avoue avoir exécuté le crime. Il dit qu’après avoir terminé l’enregistrement dans les studios de Globo, il voulait se rendre dans un supermarché pour rejoindre sa femme Paula mais qu’il a été rejoint par Daniela, qui en d’autres temps lui avait affirmé vouloir tuer Paula et l’écarteler en enfouissant les éléments du corps en divers endroits, pour les séparer de l’âme. Daniela a aussi montré à Guilherme des traces de coups que lui aurait donnés son mari Raoul Gazola. Après qu’elle aurait pleuré et qu’ils se seraient battus, Guilherme l’aurait étranglée avec sa cravate.

   Deux jours plus tard, nouvelle version: Daniela aurait été la victime d’un crime rituel. Lors des répétitions de la pièce Blue Jeans, selon d’autres acteurs, Guilherme faisait des oraisons à un mage nommé Pai Chicao. Des ossements d’animaux auraient été découverts près de la victime, preuve qu’il aurait pu s’agir d’un crime rituel.

   Le 31 décembre, troisième version. Des policiers se rendent à l’appartement de Guilherme et Paula, à Copacabana, et y découvrent un stylet qui pourrait avoir servi à tuer Daniela, ainsi que des vêtements tachés de sang. Deux voitures auraient été vues près des lieux du crime, celle de Daniela et celle de Guilherme. Qui a conduit celle de Guilherme si ce dernier conduisait vers le terrain vague celle de Daniela ?

   Quatrième version: le crime passionnel. Plusieurs témoignages montrent qu’il y avait une troisième personne sur les lieux du crime, une femme à cheveux longs et lisses. Arrêtée, Paula donne sa version: elle avait un pacte de fidélité avec son mari. Pour être sûre que ce dernier rejetait effectivement les assauts de Daniela, Paula s’est cachée dans la voiture de Guilherme, entre les sièges, quand il est allé la chercher. Daniela a voulu embrasser Guilherme, qui l’a rejetée. C’est à ce moment que Paula est sortie de sa cachette. Une dispute s’en est suivie. Paula s’est saisie d’une clé et a frappé. Bataille entre les deux femmes, c’est alors que Guilherme se sert de sa cravate pour étrangler Daniela, qui perd connaissance.

   Cinquième version: crime prémédité. Le jour du crime, Paula dit à des amis qu’elle doit aller chez le médecin. En fait elle se rend au supermarché où se rend aussi son mari mais  n’y achète rien. Etrange.

   Sixième version: selon un garagiste, Guilherme et une femme (Paula) ont porté ensemble un drap dans lequel se trouvait peut-être un corps. Le couple est rentré vers deux heures du matin, la femme est allée à l’appartement tandis que l’homme retirait du coffre le drap. Il faisait trop sombre pour voir si le drap était taché de sang. A 3 heures du matin, le couple et les parents de Paula sont sortis et revenus rapidement.

   Autre témoignage d’une jeune fille: elle a vu la Santana dépasser l’Escort et l’obliger à s’arrêter. Guilherme conduisait la Santana, Daniela l’Escort. Guilherme a obligé Daniela à lui laisser sa place au volant et Paula, sortie de sa cachette, a pris le volant de la Santana.

Pas de doute, à Rio, la réalité ne tarde jamais à dépasser la fiction. Surtout à la télévision…

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